24 juil. 2014

Danielle Thiéry: "Je suis farouchement libre !"

(c) Versilio
Première femme à accéder en France au grade de commissaire divisionnaire, Danielle Thiéry est l’auteur d’une vingtaine de romans policiers et de la série télévisée « Quai n°1 ». En 2013, elle a reçu le Prix du Quai des Orfèvres pour « Des clous dans le cœur ». Dans son dernier ouvrage « Echanges », un polar sombre et captivant, elle met une nouvelle fois en scène son héroïne Edwige Marion. Victime d’hallucinations après avoir reçu une balle dans la tête, l'enquêtrice de la Crim s’attache pourtant à résoudre une affaire vieille de vingt ans.  Les 6 et 7 septembre prochains à Fouras, l’auteur coiffera cette fois la casquette de marraine pour le lancement du Festival « Tribus Polar ».  
En acceptant d’être la marraine de cette première édition, vous affirmez votre esprit pionnier, non ?
Sans doute. Je déteste mettre mes pieds dans des pantoufles et emprunter des sentiers battus. J’aime les défis parce qu’il y a toujours quelque chose à la clef. On va tout mettre en œuvre pour qu’il y ait une deuxième, une troisième édition, etc… Pour moi, c’est un honneur. Je serai une marraine présente et attentive.
Vous avez participé à de nombreux jurys. Quels sont vos critères pour juger un polar ?
Je ne juge jamais mais un auteur qui prend des libertés. Je pratique moi-même la licence littéraire. Mais si l’on fait parler un médecin, même pour deux ou trois phrases, il faut éviter de lui faire dire des bêtises.  Lorsque je mets le nez dans un bouquin, j'attends qu'il soit bien écrit, qu'il y ait un vrai travail éditorial. Après, c’est le page-turner, le mouvement…
Justement, on reproche souvent aux séries policières françaises de manquer de rythme ?
Il y a comme une malédiction sur le sujet. Il y a des années, je me suis fait jeter lorsque j’ai proposé un concept sur la police scientifique. On m’a répondu que ce n’était pas l’avenir ! On prétendait que ce n'était pas visuel et que les téléspectateurs risquaient de d’ennuyer. A l’époque, on ne voyait que par les profilers. Les anglais savent faire de bonnes séries, raconter une histoire, faire monter la tension. On n’a pas forcément besoin de faire des trucs décalés. Pourquoi, par exemple,  aller chercher des flics en fauteuil roulant ?
Comment expliquez-vous cet engouement pour le polar qui fut longtemps considéré comme un genre mineur ?
C’est vrai qu’à une certaine époque on parlait de sous-littérature, de romans de gare. Le succès commercial n'est pas forcément synonyme de qualité ! IL y a eu un signal important lorsque de plus en plus d’auteurs se sont lancés dans la littérature policière. Le genre s’est aussi enrichi avec les écrivains du Nord. Cela relève de la fascination parce qu’on touche à la mort. On porte tous une certaine violence en nous.  
« Echanges » est la dixième aventure d’Edwige Marion. Son parcours professionnel ressemble un peu au vôtre ?
Oui, sauf que moi, je n’ai jamais travaillé au 36 ! On met tous un peu de nous dans les bouquins. Mais je songe de plus en plus à me séparer d’elle.
Vous allez la tuer ?
Un personnage récurent est un confort mais c’est aussi pesant. J’ai un lectorat fidèle et lorsque j’ai émis l’idée de la faire disparaître, il y a eu des réactions surprenantes. Un éditeur allemand a dit que si elle mourait, il ne poursuivrait pas sa collaboration avec nous. On n'est pas dans Conan Doyle mais quand il a tué Sherlock Holmes, il a bien été obligé de le faire revivre avec des bouts de ficelle. Les gens s'attachent et cela n'est pas sans conséquences. Alors, non, je ne vais pas la tuer mais je vais probablement cesser d’écrire sur elle. Edwige m'empêche de dévier vers d'autres choses. Et je suis farouchement libre !
Propos recueillis par Annie Grandjanin
  
«  Echanges » (Editions Versilio)
Festival « Tribus Polar », les 6 et 7 septembre 2014, sur la presqu’île de Fouras (près de la Rochelle). Infos sur la page Facebook "Festival Tribus Polar".


21 juil. 2014

Mouloudji: vingt ans après...

« Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues… » chantait Trénet. Pourtant, vingt ans après la mort de Marcel Mouloudji, on peut s’interroger sur la place qu’il occupe encore dans les mémoires. Pour certains, il demeure l'interprète de « Comme un p’tit coquelicot ». Une chanson qu’il n’a pas écrite (le texte est de Raymond Asso) mais qui est marquée, de manière indélébile, par son timbre si particulier. Les cinéphiles avertis se souviendront de ses talents d’acteur (« Les disparus de Saint-Agil » de Christian-Jaque, « Nous sommes tous des assassins » de Cayatte…), les amateurs de l’esprit rive gauche rappelleront sans doute ses tours de chant consacrés à Vian ou Prévert au Vieux-Colombier…mais le public a parfois oublié le peintre, le producteur et éditeur qui lança notamment la carrière de Graeme Allwright, l’homme de convictions qui chantait dans les usines et participa notamment à un gala de soutien à la gauche chilienne, l’auteur d’ « Enrico », un ouvrage de mémoire, écrit alors qu’il avait tout juste 20 ans, couronné par le Prix de la Pleiade ou encore le pacifiste qui interpréta pour la première fois « Le déserteur » en 1954, le jour même de la chute de Diên Biên Phu.
«Je voulais faire découvrir aux jeunes générations l’artiste qu’il a été » confiait récemment Annabelle Mouloudji, lors de la présentation de l’album « Hommage à Mouloudji – En souvenir des souvenirs… » et du livre « Mouloudji, athée ô grâce à Dieu » dédiés à son père. Un travail auquel elle s’est attelée avec son frère Grégory et la complicité artistique de Laurent Balandras.
Au travers d’anecdotes, de documents exclusifs et de photos inédites, l'ouvrage permet aux enfants de Mouloudji  de raconter ce père avec lequel le dialogue s’est interrompu le 14 juin 1994. « Il est toujours avec moi » ajoute Gregory dont le timbre et les traits rappellent étrangement la figure paternelle. Plus jeune, Annabelle a moins de souvenirs mais elle a réécouté tous ses vinyles pour le choix des chansons de l’album réalisé et arrangé par Frédéric Lo. Ce dernier lui donne d’ailleurs la réplique sur « Enfin, tu me viendras » (la chanson préférée d’Annabelle !). « Vous dites Mouloudji et aussitôt, on vous accueille avec bienveillance » explique Laurent Balandras. Louis Chedid, Christian Olivier (des Têtes Raides), Alain Chamfort, Daphné, Jil Caplan…ont volontiers participé à cet hommage en revisitant des titres tels que « Un jour tu verras », « Faut vivre », « L’un à l’autre étranger »… et des raretés comme « Six feuilles mortes de San Francisco »,  Un disque qui se termine par «Il est né à Paris » un texte de Mouloudji, lu par son fils.
D’autres événements comme la réédition d’ « Enrico » ou la sortie chez Universal,  des concerts au Théâtre de la Renaissance en 1975, devraient célébrer le vingtième anniversaire de la disparition de celui qui se définissait ainsi: « Catholique par ma mère, musulman par mon père. Un peu juif par mon fils, bouddhiste par principe. Alcoolique par mon oncle, névrosé par grand-mère. Sans classe par vieille honte. Dépravé par grand-père. Athée, ô grâce à Dieu ! »…
Annie Grandjanin

Album « Hommage à Mouloudji - En souvenir des souvenirs... » (Discograph) et livre « Mouloudji, athée ô grâce à Dieu » (Editions Carpentier).



8 juil. 2014

Thomas de Pourquery : « Sun Ra était un punk avant l’heure ! »


(c) Sylvain Gripoix
Avec sa barbe et sa stature imposante, on l’imagine volontiers dans un remake de "Raspoutine" ou endossant le maillot d'un pilier de rugby. Mais c'est sur la scène des festivals ou dans les clubs que ce fougueux musicien donne la pleine mesure de ses multiples talents et de son goût pour le jazz, la pop, le rock ou le funk. Saxophoniste, chanteur, compositeur... Thomas de Pourquery rêvait en fait de jouer de la trompette ! «Lorsque je suis allé dans un magasin d’instruments de musique, avec mes parents, il n’y en avait plus, alors je suis reparti avec un saxophone » se souvient-il. Plus tard, Stefano Di Battista est passé par là et il a délaissé le ténor au profit de l’alto. Voilà pour la petite histoire. La grande histoire étant bien sûr « Play Sun Ra », son premier disque en tant que leader, couronné par une Victoire du Jazz 2014 dans la catégorie "album de l'année". Un album qui a bien failli ne jamais voir le jour. Victime d’un cambriolage, Thomas s’est fait voler son ordinateur et le disque dur contenant tout son travail. « Il y avait là tous les arrangements des morceaux que nous devions répéter 15 jours plus tard. J’ai passé une semaine de désespoir total. Puis, j’ai décidé de réécouter Sun Ra, juste pour voir ce qui allait se passer. Un peu comme on fait son deuil. Cela a duré deux jours et je me suis laissé emporter. C’était complètement mystique. J’ai eu un nouveau coup de foudre » confie-t-il. D’aucuns évoqueront plutôt un coup de génie car Herman Poole Blount, dit Sun Ra est un compositeur mal connu dont la musique est réputée « injouable ». «C’était un alchimiste. Il créait ses morceaux en fonction de la fréquence de telle ou telle note. Nous l’avons vérifié. Dès que l’on commence à jouer, il se passe un truc incroyable, comme une transe » explique Thomas. Alors qu’on célèbre cette année, le centenaire de sa naissance, Sun Ra, demeure pour beaucoup un personnage cosmique, une sorte de gourou qui prédisait l'arrivée des extra-terrestres. « Il faisait partie de l’afro-futurisme. Il prétendait qu’il venait d’une autre planète (Vénus) pour gommer toute idée de race. Comme tous les génies, il avait cette part de folie. C'était l'un des pionniers de l'électronique, même si son moteur était Duke Ellington. Il a produit dans tous les genres, du hardcore aux chansons pop et inspiré des groupes comme Sonic Youth. Le cantonner au free jazz, comme c'est souvent le cas, est assez réducteur. Si je devais le définir, je dirais que c’était un punk avant l’heure !».
Accompagné du groupe Supersonic, six musiciens venus d'horizons divers ("MegaOctet", "Sacre du Tympan", "Poni Hoax"...) qui sonnent comme un véritable big band, Thomas s’est attaché à retranscrire, presque amoureusement, la flamboyance et la poésie de Sun Ra. Une musique dans laquelle il a baigné très tôt puisque sa mère le berçait déjà avec «Enlightenment ». Mais il n'aime pas trop que l'on parle d'hommage: « Je trouve cela un peu morbide. L’idée est de jouer, de fêter un compositeur, comme on le fait pour Bach ou Mozart ».
 Lorsqu’il n’est pas en tournée, Thomas de Pourquery joue aussi … devant une caméra ! «C’est la cerise sur mon grand gâteau. J’ai fait un moyen métrage «Il est des nôtres » (de Jean-Christophe Meurisse) qui a été un peu remarqué. J'ai eu la chance d'être bien dirigé. Du coup, on m’a ensuite proposé « Tristesse Club », avec Ludivine Sagnier et Laurent Lafitte et je tourne actuellement avec Izia Higelin et Fred Poulet ». Le film devrait sortir cet hiver, à la la même période que son premier album de chansons pop en anglais, enregistré avec le groupe Viking.
Boulimique ? Eclectique ? Thomas de Pourquery est surtout un passionné qui refuse de bouder son plaisir et de se laisser enfermer dans un genre. « Je rêve de festivals où l’on jouerait aussi bien des sonates de Bach que de l’électro et de la pop. Mon plus grand fantasme : le jour où il ne restera que la musique… »
Annie Grandjanin

Album "Play Sun Ra" sorti le 6 janvier dernier. 
En tournée: Le 13 juillet, The Endless Summer, Festival Chauffer dans la noirceur, à Montmartin-sur-mer, 29 juillet, Festival de Jazz à Vannes, le 30 juillet avec Médéric Collignon et Vincent Artaud à Toulouse, le 19 août avec Andy Emler au Festival Jazz de Cluny, le 22 août avec Supersonic au Festival de Malguenac, le 9 sept. avec Viking au Cabaret Sauvage, Festival Jazz à la Villette, le 20 sept. avec Supersonic au Festival Tribu de Dijon....